Taxi Girl

Posted on 05/01/2012

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Prologue – Ils étaient 5+1 jeunes garçons voulant en découdre, crevant d’amour et l’appelant sans aucune mesure. Ils étaient blafards et bavards, idéalistes infortunés bricolant dans leur coin des morceaux impeccablement mélancoliques et dansants.

1977 – rencontre de Laurent Biehler, Mirwais Ahmazai (un jeune réfugié politique afghan), Pierre Wolfsohn, Stéphane Erard et Daniel Rozoum au lycée Honoré de Balzac, porte de Clichy, Paris. 1977, année punk: le groupe d’étudiants se constitue en gang rock’n’roll et écume les rades et concerts parisiens, non sans rixes au passage. Jean Genet, William Burroughs, les Doors constituent la bande originale des virées adolescentes du quintette. La suite logique, monter un groupe. Un roman porno de gare attire l’oeil des garçons. Son titre: Taxi Girl.

Fin 1978 – premières dates au Gibus et au Rose-Bonbon et rencontre avec Alexis Quinlin, une figure remuante de la scène rock française, un temps manager d’Asphalt Jungle et de Metal Urbain. Il est à ce moment-là programmateur au Rose-Bonbon, devient le manager de Taxi Girl et le 1 du groupe. Pour le fun et l’esthétique, Laurent se rebaptise Laurent Sinclair (claviers), Mirwais devient Fred Stass (guitare), Stéphane (basse) abrège son patronyme en un E. mystérieux et Daniel (chant) opte pour l’ombre, Rozoum se transformant en Darc (« aucun rapport avec l’actrice », précisera-t-il à l’époque, pince-sans-rire). Pierre Wolfsohn reste Pierre Wolfsohn (batterie). Le groupe joue des reprises de rock sans concession. Au menu, les Stooges, le Velvet Underground, Chuck Berry, les Sonics. Les garçons prennent leurs quartiers au Rose-Bonbon, qui devient leur local de répétition. En contrepartie, ils y donneront une trentaine de concerts.

1979 – L’after-punk devient new-wave, les garçons sauvages redécouvrent la sophistication et les arrangements, Kraftwerk prouvant que l’on peut être intègre et politisé un clavier au bout des doigts. Le répertoire du groupe s’enrichit de compositions originales (« N’importe Quel Soir », « Chercher Le Garçon », « Triste Cocktail » et « Mannequin », hommage direct à « The Models » de Kraftwerk, sorti l’année précédente). Le style Taxi Girl s’affirme, subtil mélange d’intellectualisme électronique et d’immédiateté rock. Les claviers de Laurent épate tout le monde. Une première maquette est enregistrée et arrive aux oreilles de Maxime Schmitt, directeur artistique de Sonopresse et proche collaborateur de Kraftwerk. La musique du groupe le séduit d’emblée, mais il demande aux garçons de continuer à travailler et de revenir le voir dans un an. Les premières parties prestigieuses commencent à s’enchainer: Père Ubu au Bataclan, Siouxie & The Banshees au Palace. L’époque est à la provocation et au geste esthétique et c’est Daniel, le 11 décembre, qui sera le plus fort à ce petit jeu. Alors que Taxi Girl ouvre pour les Talking Heads au Palace devant un public apathique, Daniel prend un cutter, se taillade l’avant-bras et saute dans la fosse, histoire d’arroser copieusement les premiers rangs de son sang. Premier flirt avec le théâtre de la cruauté. Mirwais et Laurent diront plus tard que c’était une des choses les plus belles qu’ils aient jamais vu.

1980 – Par l’entremise de Maxime Schmitt, Taxi Girl signe un contrat d’un an avec Sonopresse, une filiale de Capitol France. Un premier maxi sort rapidement en février. « Mannequin », avec son rythme primesautier et sa mélodie en accroche-coeur, séduit la presse spécialisée, mais aussi les grandes ondes (RTL et Europe 1 en tête). Dans la foulée, Alexis, qui se rêve en Malcom MacLaren français, embarque le groupe dans une opération promotionnelle d’un nouveau genre. Ainsi, le groupe rallie Paris à Chamonix à pieds en dix-sept jours au cours de l’été. Le magazine Best titre « Taxi Girl donne dans l’exploit sportif ». Toujours mieux que de se retrouver dans la rubrique « faits-divers » des quotidiens, comme à l’occasion de ce concert à Beauvais qui vire à l’empoignade générale. Car si, sur disque, Taxi Girl se voit reprocher par les punks un son et une attitude clean, la scène reste pour les garçons un pur moment de rock’n’roll (fractures diverses, nez cassés et fin de nuit au poste en sus). Dans l’année, Pathé Marconi rachète Sonopresse. Mauvaise pioche pour le groupe, puisque fort d’avoir déjà à son catalogue, au rayon « rock français », Téléphone et Starshooter, la compagnie ne fait aucun effort promotionnel pour soutenir Taxi Girl et c’est le groupe lui-même qui paie la campagne publicitaire qui accompagne la sortie de « Mannequin », appliquant ainsi à la lettre le « Do It Yourself » punk.

1981 – Sorti en décembre 80, « Chercher Le Garçon » explose les charts au cours de l’hiver 81, transformant magnifiquement l’essai « Mannequin ». Un tube aussi improbable qu’évident, texte racé et vénéneux sur mélodie élégante et addictive. Taxi Girl en vendra 300 000 exemplaires. Le groupe, filmé en concert au Palace (la boîte à concerts parisienne en vogue où Alexis travaille dorénavant), passe dans l’émission Chorus, l’ancêtre des Enfants Du Rock où sévissent Antoine De Caunes et Jacky. Une première véritable tournée en province est organisée avec succès (la majorité des premières parties de la tournée sont assurées par le tout jeune groupe Indochine) et les colonnes de la presse adolescente s’ouvrent aux garçons, qui jouent le jeu (poster du groupe dans Salut! . Parallèlement, Mirwais et Alexis, accompagnés des Modern Guy et sous le pseudo de Chany, produisent une reprise électro-chic du « Unsquare Dance » de Dave Brubeck. Le titre devient un mini-tube, un « pop-corn » pour initiés (et accessoirement l’indicatif de « Programme Secret », une émission sur Europe 1). Le gang, devenu la poule aux oeufs d’or, se retrouve en position de force alors même que se profile la fin du contrat les liant à Pathé. Alexis, faisant miroiter une possible re-signature avec Pathé, réussit à faire payer à la compagnie une campagne d’affichage dans le métro parisien. Et décide, au dernier moment, de signer avec une structure encore jeune, Virgin. Stéphane E. décide de redevenir Stéphane Erard et quitte le groupe. Kraftwerk est pressenti à la production du premier album de Taxi Girl.

1981 (suite) – Exit donc Pathé Marconi, bonjour Virgin, jeune filière de l’empire excentrique du britannique Richard Branson. Mais si Taxi Girl se laisse séduire, c’est parce que la jeune vierge, peu farouche, accepte toutes ses conditions. Avec l’avance concédée par Virgin, Taxi Girl, bien décidé à rester seul à la barre de sa destinée, crée son propre label, Mankin, montrant ainsi la voie à la scène alternative de la fin des eighties (New Rose, label et distributeur historique des alternos sera d’ailleurs le premier à rééditer Taxi Girl à la toute fin des années 80 – hommage tardif de la scène punk-rock française qui eut du mal à pardonner aux garçons son succès-éclair). Les Civils et Oberkampf (entre autres) bénéficieront ainsi de la liberté acquise par le groupe (et de la force de frappe commerciale du distributeur Virgin). Mais en juillet, c’est le drame. Pierre décède dans des circonstances troubles. On parle de crise cardiaque suite à une overdose. Coup dur pour le groupe. La musique du néo-trio s’assombrit et les textes de Daniel gagnent en intensité et en noirceur. L’enregistrement du premier album (avec, à la production, le bassiste des Stranglers, Jean-Jacques Burnel) se déroule entre Paris et Londres dans une atmosphère lourde. C’est Jet Black, le batteur des Stranglers, qui tient les baguettes. La fin de l’année les voit battre la campagne anglaise en support-band des Stranglers. Cadeau empoisonné s’il en est, peu de groupes français ayant réussi à s’imposer en perfide Albion. Mais l’accueil du public anglais est chaleureux. « Chercher Le Garçon » sort là-bas et obtient un joli succès d’estime.

1982 – Le premier album de Taxi Girl sort en France en janvier. Intitulé Seppuku, il divise le public et les chroniqueurs. Majoritairement pointée du doigt, l’ambiance mortifère qui s’en dégage. On est loin de la légèreté (apparente) des deux premiers singles. Mais c’est l’époque qui veut cela: les corbeaux de la cold-wave planent sur la ville, Ian Curtis vient de se passer la corde au cou (non sans avoir pousser un chant de cygne que l’on égorge, Closer et The Cure vient de geler le début de décennie avec Seventeen Seconds et Faith. Mais Seppuku ne rencontre pas son public. Idées noires. Il faut dire que jusqu’à présent le groupe avait su jouer de ses paradoxes. 5 garçons issus du punk (surtout Daniel, le plus « borderline ») qui décrochent vite la timbale grâce à leur goût pour la mélodie collante, 4 garçons drivés par un management retors et ultra-malin qui essaie de leur coller une image saine qu’ils n’ont pas (cf. le look « clean » du groupe pour le poster de Salut!), 3 garçons qui accèdent à la liberté artistique et à l’indépendance économique la plus totale. Et 3 garçons, ivres et blessés, qui commettent le disque qu’il ne fallait pas. Un disque droit et fier, à l’honnêteté confondante (comment leur reprocher de porter le deuil ?).

Un disque qui hurle, en sourdine. La pochette, signée Mondino, un fan de la première heure est scellée des quatres côtés. Elle montre une jeune japonaise s’apprêtant à pratiquer le rituel sacré du « Seppuku » (le terme exact de ce que l’on nomme communément « Hara-Kiri »). Seppuku est à ranger aux côtés du Closer de Joy Division, de Songs For Drella du duo Cale/Reed et de tout Johnny Cash. Une oeuvre au noir, donc.

1983 – Minés par le relatif insuccès de Seppuku (surtout en regard des ventes de « Chercher Le Garçon »), les garçons font grise mine. Des tensions apparaissent entre Laurent et Mirwais, les deux compositeurs du groupe. Laurent quitte le groupe en avril et Alexis s’enfonce de plus en plus dans les coursives noires du Palace. On ne donne pas cher de la peau de Taxi Girl. Daniel et Mirwais créent pourtant la surprise en mai avec la sortie d’un mini-album, intitulé Quelqu’un comme Toi. Le morceau-titre étonne, le duo s’éloignant du son synthétique qui fit sa gloire. Mais la touche Taxi Girl, précise et cruelle, est bien présente (« De L’autre Côté » , « Plus Je Sais, Plus J’oublie »). « Quelqu’un comme Toi » viendra frissonner aux portes du Top 50. Ce qui n’empêche pas Mankin de quitter la vitrine. Le label s’éteint, mais conserve ses activités d’édition.

1984 – Les Enfants Du Rock consacre une spéciale à Taxi Girl au mois d’avril. Le nouveau maxi, « Dites le fort », sort en juin, sur Virgin. Inspiré du « Say It Loud » de James Brown, le morceau, un funk blanc et exsangue, ne séduit pas même les fans du groupe qui, décontenancés, n’écoutent pas la face B. Grossière erreur puisque « Les Jours Sont Bien Trop Longs », gainsbourgien en diable, est sublime. En novembre, nouveau maxi. Mais « Paris », dans la veine de « Dites le fort », laisse indifférent, et ce malgré son texte provocateur (« Hé, mec !!! tu sais comment j’épelle Paris ??? M.E.R.D.E. »). La descente aux enfers pour Daniel et Mirwais continue.

1985 – Taxi Girl participe à un tribute au Velvet Underground, Les Enfants Du Velvet, aux côtés des Rita Mitsouko et d’Etienne Daho. Le duo y adapte en français « Stephanie Says », qui devient « Je Rêve Encore De Toi ».

1986 – Virgin lâche Daniel et Mirwais. Les deux garçons trouvent refuge sur un tout jeune label indépendant, Koka Records. Et c’est au printemps que sort l’ultime single de Taxi Girl, « Plus belle qu’une balle ». Un adieu fier et élégant, sûrement un des plus beaux morceaux du groupe qui retrouve, à la veille de sa mort, toute l’innocence de sa jeunesse, chœurs bubblegum et immédiateté mélodique en tête. Le morceau tourne un peu en radio, mais sans plus. Fatigués du show, fatigués du business, Daniel et Mirwais se séparent.

Epilogue – Le Nouveau Millénaire – Après avoir produit au début des années 90 Juliette Et Les Indépendants, Mirwais est devenu une star des musiques électroniques (et producteur de Madonna). Daniel Darc, après dix ans d’absence (Nijinsky, son deuxième album solo, est sorti en 1994), revient sur la pointe des pieds en 2004 avec un Crève-Coeur fragile et excitant sous le bras. Exilé en 1987 à New York suite à la chute du Palace et reconverti dans la distribution cinématographique, le manager fût un temps en prison pour escroquerie. Laurent Sinclair, après un single en 1987, a disparu de la circulation.

Source Music Story

1980 : Mannequin

1980 : Cherchez le garçon

1981 : Jardin Chinois

1981 : Les armées de la nuit

1981 : La femme écarlate

1981 : Viviane Vog

1983 : Quelqu’un comme toi

1984 : Dites-le fort

1984 : Paris

1986 : Aussi belle qu’une balle